Annie Mignard  écrivain

Annie MIGNARD



       Le journal intime





J’ai publié “Le Journal intime” dans la revue Nouvelle Donne n° 28, mai-juin 2002. Ce texte essaie de répondre à la question formulée par Pierre Fustec au nom de la Rédaction:

                                        “Le journal intime fait-il partie de votre quotidien?

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    Un journal est nécessaire pour les scories tandis qu’on écrit. Le mien est un amas de bouts de papiers, chacun avec sa date, rêves, croquis de rue, dialogues, sentiments, peurs, sensations, pensées de travail, le chant du merle chaque année. Je les tape au propre tous les cinq ou dix ans, quand j’ai le temps. Quelquefois je ne sais plus où classer mon bout de papier, avec le journal ou dans ma chemise de notes de travail du roman ou de la nouvelle en cours. D’autres fois, je sens que j’aurai besoin de plusieurs jours pour m’en nourrir et je le laisse mon bout de papier sur la table pour le relire et le remâcher avant de le joindre au journal.


    Le journal est irrégulier. Durant les années de crise de l’édition, j’avais la tête si gourde d’angoisse, si traumatisée d’effort matériel que rien ne sortait, rêve ni sensation. Dès que le stress diminue, les rêves reviennent. Le journal bourgeonne, comme un chiendent qui repart. Je ne relis pas. C’est une de mes caves. Je sais que si un jour je suis sèche, j’y trouverai des amorces.

   

    J’aime lire les journaux de scories, le ruminement de la bête, le bric à brac des neurones. Mais que ce soit le journal d’un écrivain à côté de sa fiction, celui de Jules Renard, de Kafka, ou les notes de peintres, de cinéastes, de Bresson, un journal à côté d’un fourneau créatif, chauffé par ce désir-là et dont toutes les particules s’orientent dans ce champ magnétique. Le journal qui s’offre au lecteur comme œuvre seule m’indiffère. Trop long? Sans forme? Non nécessaire? Non transcendé? Trop dans la marée autobiographique d’aujourd’hui? Le seul que j’ai lu d’un élan, petite, est celui de Marie Bashkirtseff (1860-1884). Parce que je savais qu’elle mourait de phtisie à la fin, et que cette connaissance extérieure conférait au journal une dramatisation.


    Exception à mon désintérêt pour le journal œuvre seule: les Notes de chevet de Dame Sei Shônagon, écrites en l’an mil japonais, qui relèvent du genre zuihitsu “au fil du pinceau”: ces notes quasi journalières sont magnifiques de peinture et de fraîcheur.


         © Annie MIGNARD

sur mon travail

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