Annie Mignard  écrivain

Annie MIGNARD



     Littérature de plage





J’ai publié “Littérature de plage” dans la revue Nouvelle Donne n° 29, septembre 2002. Ce texte essaie de répondre à la vaste question formulée par Pierre Fustec au nom de la Rédaction:

                                     “Qu’est-ce que, selon vous, la ‘littérature de plage’?

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C’était à Cannes où, chaque été, ma soeur aînée et moi passions le matin et l’après-midi à la plage. Ma tante nous surveillait. Elle s’asseyait, habillée, à la lisière du gros sable qui pique et du sable fin et, pendant qu’on nageait, elle lisait à l’ombre de son parasol qui couvrait jusqu’à ses jambes laiteuses. De temps en temps, on revenait en louvoyant entre les corps, trempées, grelottantes, nous affaler dans le sable au soleil à côté d’elle; on éclaboussait son livre. Elle lisait Jalna, de Mazo de la Roche (un nom si incroyable que je l’ai retenu illico). Dix, douze volumes qu’elle prenait à la Bibliothèque pour tous du quartier Alexandre III.

J’ai lu Jalna après elle, à la maison. Je consulte ma mémoire: Jalna? Le vide. J’ai dû l’oublier instantanément. C’est ça, un roman de plage, me dis-je, qui file comme le sable nous coulait entre les doigts en jouant. Et puis le soleil mordait trop les épaules, et le sable grattait sous nos maillots mouillés, on retournait en courant à la mer. Ma tante sous son parasol avait fini Jalna et s’était mise aux Thibault de Roger Martin du Gard (un nom si étonnant que je l’ai retenu tout de suite). Dix, douze volumes des Thibault, que j’ai lus après elle. Il m’en reste un gros souvenir ombreux, âcre, presque un rêve, de guerre, d’adieu, de deux cousins comme des frères, de jeunes mâles militaires à la vie amère, de remous émotifs, d’un amour qui n’a pas l’air de prendre, du prénom sans bonheur Jacques, il y en a un qui meurt, est-ce lui ou l’autre? D’où je sais qu’un pavé qu’on lit sur la plage n’est pas forcément un pavé de plage. Mais pour ça, il faut de l’entraînement.


         © Annie MIGNARD

sur mon travail

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