Annie Mignard  écrivain

commentaires sur “Propos élémentaires sur la prostitution


La France des années 68. Encyclopédie de la contestation, sous la direction d’Antoine Artous, Didier Epsztajn, Patrick Silberstein — Lilian Mathieu, “Prostituées”

Syllepse/”Utopie critique” 2008


J’ai écrit Propos élémentaires sur la prostitutiondans Les Temps Modernes n° 356, mars 1976, pp. 1526-1547

                                        

J’ai écrit “Propos élémentaires sur la prostitution”, lors du “mouvement des prostituées” de 1975 contre la répression policière et fiscale du racolage, parce que j’étais étonnée de la démarche de ceux qui, de bon cœur, pour sauver les prostituées, veulent sauver la prostitution avec.

Dix ans plus tard, j’ai lu dans la presse qu’une ancienne porte-parole de ce “mouvement des prostituées” disait: “Comment avez-vous pu croire ce que je vous racontais!


Le bouche à oreille, de nombreuses reproductions spontanées et retirages à part, et les commentaires dans le monde allant de la sociologie à l’histoire et la philosophie ont perpétué jusqu’à aujourd’hui la vie de “Propos élémentaires sur la prostitution” , texte d’environ cinquante feuillets.


Dans La France des années 1968, Encyclopédie de la contestation, qu’ont dirigé Antoine Artous, Didier Epsztajn et Patrick Silberstein (2008), Lilian Mathieu revient sur “Propos élémentaires sur la prostitution” dans son article “Prostituées” sur le “mouvement des prostituées” de Lyon de 1975.

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LA FRANCE DES ANNÉES 68. ENCYCLOPÉDIE DE LA CONTESTATION

dir. Antoine Artous, Didier Epsztajn, Patrick Silberstein

Lilian Mathieu, “Prostituées”

Ed. Syllepses/”Utopie critique” 2008, pp.672-677 (p.676-77)



Extraits, pp. 676-677


    “La prise de distance avec les revendications des prostituées (de reconnaissance professionnelle) est encore plus nette dans les “Propos élémentaires sur la prostitution” que publie en 1976 Annie Mignard dans le numéro 356 des Temps Modernes (pp. 1526-1547). Le mouvement lyonnais des prostituées est disqualifié comme doublement hétéronome, car mené par des femmes victimes de l’aliénation intrinsèque à la prostitution et manipulées par leurs proxénètes. Leur révolte est jugée insuffisante car elle “ne s’est pas faite contre la nature du service fourni au client, l’usage de leur corps contre argent, ni contre les soutiens soi-disant obligés de leur travail”, mais aussi contre-productive car “réclamer un statut, quel qu’il soit, c’est obtenir un enfermement”. L’existence même de la prostitution est, au final, rejetée comme forme paradigmatique de la domination masculine: “Pourquoi un certain nombre de femmes devraient-elles être les poubelles ou les souffre-douleur des pauvres types à qui on n’a pas donné idée d’autre chose?


    La réflexion d’Annie Mignard a durablement fixé la représentation que le féminisme français se fait de la prostitution: forme exemplaire de la violence patriarcale, la sexualité vénale ne saurait constituer une alternative économique pour les femmes, mais doit à l’inverse être vigoureusement combattue. S’est progressivement creusé un large fossé entre prostituées, qui continuent aujourd’hui à réclamer la reconnaissance de leur activité et l’accès à la protection sociale, et féministes qui exigent à l’inverse l’abolition de l’”esclavage prostitutionnel”. C’est ce fossé qui explique leur désunion lorsque, en 2003, les prostituées se sont de nouveau mobilisées contre la reprise d’une répression policière d’ampleur, celle ouverte par l’instauration par le ministre de l’intérieur d’un nouveau délit de racolage passif.”


                                           © Lilian Mathieu