Annie Mignard  écrivain

commentaires sur “Propos élémentaires sur la prostitution


par Adeline Hazan et Malka Marcovich dans “Le Système de la prostitution. Une violence à l’encontre des femmes”, rapport gouvernemental 




J’ai écrit Propos élémentaires sur la prostitutiondans Les Temps Modernes n° 356, mars 1976, pp. 1526-1547

                                        

J’ai écrit “Propos élémentaires sur la prostitution”, lors du “mouvement des prostituées” de 1975 contre la répression policière et fiscale du racolage, parce que j’étais étonnée de la démarche de ceux qui, de bon cœur, pour sauver les prostituées, veulent sauver la prostitution avec.

Dix ans plus tard, j’ai lu dans la presse qu’une ancienne porte-parole de ce “mouvement des prostituées” disait: “Comment avez-vous pu croire ce que je vous racontais!

                                    

Le bouche à oreille, de nombreuses reproductions spontanées et retirages à part, et les commentaires dans le monde allant de la sociologie à l’histoire et la philosophie ont perpétué jusqu’à aujourd’hui la vie de “Propos élémentaires sur la prostitution” , texte d’environ cinquante feuillets.

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Adeline Hazan et Malka Marcovich

LE SYSTÈME DE LA PROSTITUTION. UNE VIOLENCE À L’ENCONTRE DES FEMMES

Rapport gouvernemental 2002

Commission nationale contre les violences envers les femmes. Présidente Adeline Hazan. Rapporteuse Malka Marcovich, 5 mars 2002


Extraits


3è partie, “De l’usage des mots: entre le visible et l’invisible”, Chap. 6,Briser le silence



    “Comme le souligne Annie Mignard:


    “Refuser la propriété des autres sur son corps, c’est aussi refuser sa propre propriété sur son corps. Le mot d’ordre féministe “Mon corps est à moi” me semble aberrant, puisqu’on le comprend toujours littéralement. Qu’est-ce que parler veut dire? On n’a pas son corps, on est son corps. “Mon corps est moi.” Non un objet, un instrument, séparé de l’être, qu’on peut vendre, louer, abandonner, ou garder pour soi, mais l’être même. On ne s’appartient pas, on est. C’est pourquoi la liberté du propriétaire que les prostituées revendiquent sur leur corps-objet me semble la même aliénation (...).


    Autant il est merveilleux d’être enceinte quand on le désire, autant avoir dans son ventre un corps étranger qu’on refuse, et qui croît, est un scandale affolant, invivable, comme un cancer, une question de légitime défense, de vie ou de mort: c’est ça ou c’est moi. Et l’avortement est une réaction élémentaire d’intégrité corporelle, d’intégrité de soi (...).


    Autant il est merveilleux de faire l’amour avec qui on désire, autant la pénétration par une chair étrangère (...) est un scandale affolant, invivable, l’irruption de la mort en soi (...).


    Comment peut-on dire de la même voix (...): “Liberté de l’avortement. Plus jamais de viol. Liberté de la prostitution”? Le corps réagit-il différemment lorsqu’il y a de l’argent et lorsqu’il n’y en a pas? En est-on moins malade pour autant? Moins coupée? Moins expulsée de soi-même? Où peut-on aller se réfugier quand le lieu de son corps est occupé par autrui? Quand on n’a même plus son espace du dedans? (...)”



5è partie,Le morcellement du corps prostitué: écho du morcellement du sujet de la prostitution dans le corps social


    “Le corps prostitué n’est pas un. Le corps prostitué ressemble à ces illustrations chez les bouchers qui désignent chaque partie de l’animal. Le corps est en effet morcelé, chacune de ses parties est hiérarchisée et tarifiée. En 1976, Annie Mignard soulignait:


    “30 francs l’éjaculation précoce du pauvre, 100 l’éjaculation rapide du moyen, 1.000 le couché ou la nuitée du riche. Ce paiement n’a aucun rapport avec un salaire. Ce n’est pas ce qui permet à la femme de renouveler de jour en jour sa force de travail, ce n’est pas non plus la contrepartie du service fourni (...).



                                     © Annie MIGNARD pour les citations