Annie Mignard  écrivain

commentaires sur “Propos élémentaires sur la prostitution


par Lilian Mathieu dans “Prostituées et féministes en 1975 et 2002: l’impossible reconduction d’une alliance”, dans Travail, genre et sociétés, éd. La Découverte



J’ai écrit Propos élémentaires sur la prostitutiondans Les Temps Modernes n° 356, mars 1976, pp. 1526-1547


J’ai écrit “Propos élémentaires sur la prostitution”, lors du “mouvement des prostituées” de 1975 contre la répression policière et fiscale du racolage, parce que j’étais étonnée de la démarche de ceux qui, de bon cœur, pour sauver les prostituées, veulent sauver la prostitution avec.

Dix ans plus tard, j’ai lu dans la presse qu’une ancienne porte-parole de ce “mouvement des prostituées” disait: “Comment avez-vous pu croire ce que je vous racontais!

                                        

Le bouche à oreille, de nombreuses reproductions spontanées et retirages à part, et les commentaires dans le monde allant de la sociologie à l’histoire et la philosophie ont perpétué jusqu’à aujourd’hui la vie de “Propos élémentaires sur la prostitution” , texte d’environ cinquante feuillets.

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Lilian Mathieu

CNRS-LASP Paris X

PROSTITUÉES ET FÉMINISTES EN 1975 ET 2002: L’IMPOSSIBLE RECONDUCTION D’UNE ALLIANCE

Revue Travail, genre et sociétés n° 10, 2003/2, pp. 31 à 48

Éd. La Découverte



Extrait de la partie intitulée:

“Un clivage féministe



    “La prise de distance avec les revendications des prostituées est encore plus nette dans “Propos élémentaires sur la prostitution” d’Annie Mignard (Les Temps Modernes n° 356, 1976). Le mouvement des prostituées est d’emblée disqualifié comme doublement hétéronome, car mené par des femmes victimes de l’aliénation intrinsèque à la prostitution, et manipulées par les proxénètes qui attendent de la reconnaissance de cette activité une source appréciable de profit. La révolte des prostituées est jugée insuffisante car elle “ne s’est pas faite contre la nature du service fourni au client, l’usage de leur corps contre argent, ni contre les soutiens soi-disant obligés de leur travail” (p. 1529), mais aussi contre-productive car “réclamer un statut, quel qu’il soit, c’est obtenir un enfermement”(ibid.). L’existence même de la prostitution est, finalement, rejetée comme forme paradigmatique de la domination masculine: “Pourquoi un certain nombre de femmes devraient-elles être les poubelles ou les souffre-douleur de pauvres types à qui on n’a pas donné idée d’autre chose?” (p. 1543)

    L’article d’Annie Mignard fixe durablement la vision de la prostitution du féminisme français, une vision qui l’envisage avant tout comme une forme de violence sexuelle à l’encontre des femmes. Il fixe également la vision des mobilisations de prostituées comme nécessairement manipulées par des proxénètes. Ainsi stabilisée, la position féministe sur la prostitution évolue peu au cours des années.”