Annie Mignard  écrivain

commentaire de presse sur “Propos élémentaires sur la prostitution



par Yves Florenne, chronique “Revue des revues - Idées”, Le Monde



J’ai écrit Propos élémentaires sur la prostitutiondans Les Temps Modernes n° 356, mars 1976, pp. 1526-1547

                                        

J’ai écrit “Propos élémentaires sur la prostitution”, lors du “mouvement des prostituées” de 1975 contre la répression policière et fiscale du racolage, parce que j’étais étonnée de la démarche de ceux qui, de bon cœur, pour sauver les prostituées, veulent sauver la prostitution avec.

Dix ans plus tard, j’ai lu dans la presse qu’une ancienne porte-parole de ce “mouvement des prostituées” disait: “Comment avez-vous pu croire ce que je vous racontais!


Le bouche à oreille, de nombreuses reproductions spontanées et retirages à part, et les commentaires dans le monde allant de la sociologie à l’histoire et la philosophie ont perpétué jusqu’à aujourd’hui la vie de “Propos élémentaires sur la prostitution” , texte d’environ cinquante feuillets.

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Yves Florenne - Chronique “Revue des revues - Idées

LE MONDE

9-10/5/1976



Dans la mythologie masculine,  la femme était soit ange, soit putain. Le progrès a consisté à évacuer le mythe de l’ange. Ne reste donc que la putain. C’est d’ailleurs ce que constate Annie Mignard dans Les Temps Modernes n° 356, où elle donne, sous le titre Propos élémentaires sur la prostitution”, le texte le plus vrai, courageux, émouvant qu’on ait écrit sur la prostitution, ou plutôt à propos de la prostitution, car il va bien au-delà: “Les femmes dites honnêtes savent bien que si on leur a appris ce genre de vertu, c’est que ça n’allait pas sans dire, et qu’il leur fallait acquérir une défense morale individuelle pour résister à la commune mesure: femme égale putain.” Deux sexes, oui: “le sexe putain et le sexe client.”


Son propos est d’abord de montrer que le “mouvement de libération des prostituées” n’est nullement de libération: il consiste à revendiquer l’organisation et la protection du libre exercice de l’asservissement. Elle dénonce cette “complicité d’esclaves sous couvert de féminisme, cette entreprenante résignation à l’état de marchandise (qui) se retrouve jouer de l’image de la femme libérée, c’est-à-dire de la femme-forte-mais-femme-femme, enfin acceptant les règles du jeu que produit l’idéologie libérale avancée de la marchandise.”


Encore un progrès: on est maintenant pour les prostituées, ces travailleuses, c’est-à-dire pour leur travail. Annie Mignard cite cette forte parole: “Si l’on veut supprimer la prostitution, il faut couper le zizi de tous les Français.” Voilà donc l’opinion publique péremptoirement informée, puisque la sentence émane de M. Pradel, Zizi Pradel, maire de Lyon où a commencé le mouvement des prostituées, lequel a déclaré aussi: “L’information, c’est moi.”


    On en revient toujours à cela que nous proposerons d’appeler désormais, d’une manière familière, sans façon, évidemment bonhomme, et vaguement espérantiste (au diable le grec et sa phallocratie!): la zizicratie. Annie Mignard s’insurge non seulement contre le gouvernement despotique du zizi, mais contre son monopole: “A la fin des fins, quand cessera-t-on de penser et de faire comme si les seuls hommes avaient un sexe, étaient seuls sujets sexués, seuls sujets désirants? Les femmes, des êtres fonctionnels, sans désirs ni désir, sans besoins sexuels, pourvues non pas d’un sexe, mais d’une commodité (...) Femmes frustrées ou gagneuses du sexe, le manque de vérité et de liberté est le même.”


J’ai dit, et on le voit du reste, que cette réflexion à partir de la prostitution va beaucoup plus loin: “Je ne sais pas si c’est grâce à la vulgarisation du freudisme, ou à l’interprétation efficace de mai 68 qu’on traque partout ce qui peut être à “transgresser” et que LA transgression est présentée comme un modèle de conduite courageuse et libre. Vivre ses fantasmes sans entraves. Et l’on daube sur ces pauvres types qui n’ont pas osé se faire une pute; ou l’on se reproche, femme, de ne pas oser franchir le pas, etc. Les rois de la libération, dans ce cas, sont ceux qui se sont offert des films érotiques de sadisme in vivo: en mettant esthétiquement et effectivement à mort de belles filles venues tourner du porno (...) Hitler aussi, dans le genre “mettons nos fantasmes dans la réalité”, quel type libéré, quelle jouissance exemplaire!”


La fin: “Les femmes acceptent aisément encore cette dés-intégration et de se perdre avant même de s’être trouvées. Et elles apportent encore des justifications inutiles à l’usage qui est fait d’elles. Se vendent, se louent, s’accordent aux infirmes parce qu’ils sont infirmes, aux compliqués parce que personne n’en voudrait, à ceux qui payent parce qu’ils payent, à qui les veut parce qu’on les veut. Elles jouent leur rôle dans le théâtre érotique des hommes, comme elles participent sans rechigner à leur théâtre existentiel. Entrent dans tous les fantasmes, se figent dans toutes les images. Jamais décevantes. Infinie complaisance des femmes, j’en sais bien quelque chose.”


J’ai beaucoup cité, et ce n’est pas assez. Il faut lire le texte entier.


                                            © Yves Florenne

                                   © Annie Mignard pour les citations