Annie Mignard écrivain

J’ai écrit “Propos élémentaires sur la prostitution”, lors du “mouvement des prostituées” de 1975 contre la répression policière et fiscale du racolage, parce que j’étais étonnée de la démarche de ceux qui, de bon cœur, pour sauver les prostituées, veulent sauver la prostitution avec.

Dix ans plus tard, j’ai lu dans la presse qu’une ancienne porte-parole de ce “mouvement des prostituées” disait: “Comment avez-vous pu croire ce que je vous racontais!”

Le bouche à oreille, de nombreuses reproductions spontanées et retirages à part, et les commentaires dans le monde allant de la sociologie à l’histoire et la philosophie ont perpétué jusqu’à aujourd’hui la vie de “Propos élémentaires sur la prostitution” , texte d’environ cinquante feuillets.

UNESCO

Prostitution International Meeting of Experts on the Social and Cultural Causes

Madrid, Espagne, 1985

Jeanne Peiffer

BIBLIOGRAPHIE ANNOTÉE (région Europe)

1985

Extraits

I. 4. Fondements sociaux-culturels et dimensions politiques de la prostitution féminine, p. 24

“ La prostitution comme image déformée mais réelle du fonctionnement de notre civilisation patriarcale, de ce qu’est la sexualité dans notre société, des rapports entre hommes et femmes: Annie Mignard défend un peu la même thèse dans son article des Temps Modernes, écrit après la fronde des prostituées de 1975, mais toujours actuel dans son analyse:

- Annie Mignard, “Propos élémentaires sur la prostitution”, Temps Modernes mars 1976:

“La marginalité est plus révélatrice d’une société que sa normalité: la prostitution est au cœur même de la situation particularisante faite à toutes les femmes du réel, au cœur même des images et des destins sociaux qui les cernent (...), les femmes du réel sont de la marchandise.”

II.5. Les collectifs de prostituées, p. 37

La révolte de 1975 est une révolte collective. Création du “Collectif des prostituées”, dossier Prostitution aux “Dossiers de l’écran”, occupation de l’église Saint-Nizier à Lyon du 2 au 10/6/1975, mouvement des prostituées de Lyon, puis de France (...).

- Annie Mignard, “Propos élémentaires sur la prostitution”, Temps Modernes mars 1976:

Annie Mignard fait une analyse lucide de la révolte des prostituées:

Qui s’est révolté? “Ni les prostituées en maison, de luxe ou de misère, ni les “intérimaires”, mais “une couche intermédiaire par son revenu et sa “liberté” de travail: les femmes de la rue.”

Pourquoi? “Leur révolte collective ne s’est pas faite contre la nature du service fourni au client, l’usage de leur corps contre argent, ni contre les soutiens soi-disant obligés de leur travail: tauliers, souteneurs, rabatteurs, mais contre l’aggravation de la répression policière et fiscale du racolage.”

“En tentant d’atteindre la prostitution par le biais du racolage, cette pression fiscale et policière condamne ce dernier sous sa forme actuelle et déséquilibre la pratique effective des prostituées vers un des termes de l’alternative: prostitution “libre” clandestine, ou enfermement, corporatif ou fonctionnarisé, mais forcément “protégé”.

Le mouvement n’est donc pas dirigé contre les proxénètes. “Les prostituées revendiquent le proxénétisme comme un don volontaire dans une relation personnelle.”

“Par erreur ou par intention, ce mouvement défend le statu quo du système prostitutionnel, maquereaux et filles, des relations qui le structurent, du montant et de la répartition actuels de ses gains, et de l’aliénation marchande des prostituées.”

IV.2. Les motivations des clients

“Les rares qui parlent”, dit Annie Mignard dans son remarquable article des Temps Modernes, “présentent la passe comme un accouplement anodin, libéré de tout “investissement” par le contrat d’argent qui la sous-tend.” (...)

“Ce que les clients avouent finalement chercher, c’est, selon les cas, une écoute, le rapport impossible à LA femme, une chaleur humaine, un rapport de pouvoir, un rite d’initiation, une revanche sur un autre rapport sexué, bref, sous quelque forme que ce soit, le rapport fascinant et toujours évité à l’Autre.”