Annie Mignard  écrivain

dossier de presse de “Écrire aujourd’hui”

article de presse à l’étranger



LE JOURNAL DE GENÈVE - Isabelle Martin


ÉCRIVAINS, VENDEZ-VOUS...



  Voici, publié par la revue Autrement, un numéro spécial (n° 69, avril 85),Écrire aujourd’hui”, qui propose, sous la direction d’Annie Mignard, elle-même écrivain, un portrait éclaté de la vie littéraire en France, grâce à des lettres, des témoignages, des entretiens. Ce numéro au graphisme raffiné, illustré de photos de lecteurs prises par André Kertèsz depuis 1915, se présente comme un ensemble foisonnant quoique ordonné qui tente de dessiner quelques lignes directrices dans le paysage mouvant de la création et de la réflexion contemporaines: résurgence d’une pensée libérée de la tutelle de l’engagement comme des réactions formalistes qu’il suscita, rôle des revues comme lieux d’échanges et de recherches, interpénétration des genres littéraires: en outre, la revue élargit la question du “pourquoi” à celle du “comment écrire” (par exemple, des haikus sur ordinateur), elle interroge des auteurs d’horizons divers sur leur langue, elle fait place aux lecteurs, et elle donne enfin la parole à tous ceux qui s’occupent du livre comme produit: attachée de presse, représentant, directeur commercial, libraire, éditeur, journaliste.


  “La vie du livre”, ainsi s’intitule cette dernière partie qui contraste avec l’optimisme affiché ailleurs dans ce numéro. La vie du livre est en effet éphémère, et tend à le devenir toujours plus: “Si dans les deux mois votre livre n’est pas vendu, c’est fini”, dit un attaché de presse; constat abrupt à peine corrigé par un libraire: “On arrive quelquefois à maintenir les choses pendant très longtemps, un an... On renouvelle la pile, par exemple Kundera et Umberto Eco, jusqu’à leur parution



en poche.” Comme Kundera et Umberto Eco sont précisément des exceptions, cette évolution, sensible depuis une demi-douzaine d’années chez nos voisins et qui commence à l’être en Suisse romande, a de quoi inquiéter.


  Entre autres raisons, on l’attribue généralement à la saturation du marché, à l’apparition des best-sellers (concertés, non aux succès de vente inattendus), et surtout à la médiatisation de la littérature, opérée par la télévision avant tout, en particulier par l’émission de Bernard Pivot. Si le passage à “Apostrophes” est devenu une manière de reconnaissance, c’est que la notion de public, si possible de grand public, est désormais liée au statut d’écrivain, alors que pendant longtemps il suffisait de toucher une petite élite. “La tendance, reconnaît une attachée de presse, est au vedettariat”.


  Annie Ernaux, prix Renaudot 1984, s’offusquait récemment dans un article du Monde de ce que, dans le glissement de l’œuvre à l’image plus ou moins “vendable” qu’en donne sur le petit écran la personne de l’auteur, on renonce finalement à s’interroger sur les véritables enjeux de la littérature: son rôle, sa finalité, son rapport au réel. Là est sans doute le vrai problème, qui tient au médium lui-même: difficile de faire autre chose de la télévision qu’un spectacle.


  Reste une constatation réjouissante relevée par tous les spécialistes du livre: dans notre époque de communication de masse, aussi paradoxal que cela puisse sembler, le rôle du bouche à oreille, dans le succès d’un livre, reste primordial. Comme si les lecteurs voulaient jeter un grain de sable dans la machine trop bien huilée de la nécessité éditoriale.