Annie Mignard  écrivain

dossier de presse de “Écrire aujourd’hui”



LE PROVENÇAL - Jérôme Garcin


ÉCRIRE AUJOURD’HUI



  Dans la citadelle littéraire, il est de bon ton de mépriser la production française et de jurer ses grands dieux que seules les œuvres étrangères méritent une attention. De la mauvaise humeur comme l’un des beaux-arts. En France, rien de nouveau. Les propagateurs de ce pessimisme chic sont d’autant moins crédibles qu’ils ne voient, de la littérature, que celle qui fait la une des gazettes et qu’il ne leur viendrait pas à l’idée d’aller fouiner dans les librairies, ne serait-ce que pour constater l’étonnante diversité de nos écrivains contemporains.


  D’où l’opportunité, l’utilité, la nécessité, du numéro spécial de la revue “Autrement” (n° 69, avril 1985), consacré à la littérature sous le titre Écrire aujourd’hui”. Annie Mignard, la romancière qui a présidé à la réalisation de ce dossier délicat, a d’emblée évité le pire: la sociologie du milieu littéraire. Sauf dans un dernier chapitre où quelques beaux parleurs - éditeurs, critiques, attachés de presse, écrivains - y vont de leurs réflexions générales sur le comment et le pourquoi de la réussite d’un livre, sur l’étouffement des poètes par les best-sellers, etc. (bonjour les poncifs!). Annie Mignard a conçu un livre prospectif, dynamique, qui va à la fois de l’avant et en profondeur. Autour d’elle, en effet, les écrivains prennent la plume, non pour définir un “produit culturel”, mais pour analyser leur propre démarche: et c’est bien là ce qui passionne. Il s’agit de création, pas de commerce. D’écriture, pas de médiatisation.


 

Les drogués du waterman



  Témoin, la lettre de J-M.G. Le Clézio qui, dès les premières pages du numéro, donne le “ton”:”Je ne connais pas beaucoup d’écrivains, je connais surtout des livres”. Enfin! Dans ce dossier, précisément, les livres, on les voit se développer, croître et lentement naître. L’écriture, c’est “faire sa coque” (Annie Mignard). Le vrai plaisir n’est pas d’écrire, c’est “d’avoir écrit” (Paul Fournel). “Je ne sais rien, rien d’avance, quand j’écris. Je ne sais pas où je suis” (Viviane Forrester). “Nos livres nous façonnent bien plus que nous ne les façonnons” (Richard Millet). “Je crois que j’écris pour rendre leur sens aux mots et pour les aider à garder ce sens” (Sony Labou Tansi).



Tous - on pourrait encore citer tant d’autres phrases aussi symboliques - sont des malades d’écriture, des drogués du waterman, des shootés à l’encre, et pourtant, il ne s’en trouve pas un seul pour expliquer son acte avec une logique d’artisan. C’est peut-être là que se révèle la nouvelle génération d’écrivains français: débarrassés des maîtres idéologiques, des gourous de la pensée, de l’obligation de choisir entre telle école ou telle chapelle, de tout ce qui avait embrigadé esthétiquement, politiquement, moralement, leurs prédécesseurs, ils œuvrent en liberté. Ca ne veut pas dire dans le bonheur béat, la joie de l’indifférence. Non. Même s’ils sont plus solitaires, leur travail gagne en authenticité, et souvent en originalité.


  Il suffit de lire, dans ce dossier, les pages combatives de Tchicaya U Tam’si, ludiques de Jacques Bens, désabusées d’Eugène Savitzkaya, cyniques de Michel Chaillou, baladeuses d’Olivier Rolin, graves d’Annie Ernaux, il suffit de pénétrer les poèmes de Michel Deguy ou de Jacques Réda, d’écouter, venues d’ailleurs, les voix de György Ligeti, Luba Jurgenson, Pierre Guyotat, Anne Hébert, pour comprendre que l’époque des anthologies et autres dictionnaires est morte. La création ignore le carcan des classifications.


  Comme il n’y a pas d’écriture sans lecture, et inversement, Annie Mignard a eu la bonne idée de nous proposer, dans un chapitre, une série de textes inédits (d’Edmond Jabès, Claude Mauriac, Yves Laplace, Jean-Pierre Colombi) auxquels s’ajoutent logiquement le récit de différentes expériences de lecture vécues par Christiane Rochefort, Serge Koster, Paule Constant, Catherine Rihoit. L’ensemble est émaillé de superbes photographies, signées d’André Kertèsz, à la gloire mystérieuse de ce vice impuni: la lecture.


  Dans les années cinquante avait paru, sous le titre Que peut la littérature, un petit livre où étaient reproduits les textes d’un débat organisé à la Mutualité avec Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Jean-Pierre Faye, Jean Ricardou et Yves Berger. Livre sans cesse réédité, comme on reproduit à l’infini la photographie jaunie des membres du “Nouveau Roman”. Je crois que ce numéro d’”Autrement”, lu et relu dans dix ou vingt ans, produira le même effet passionnant: la certitude que s’y expriment parfaitement les écrivains d’aujourd’hui et qu’ils le font ensemble.