Annie Mignard  écrivain

dossier de presse de “La Vie sauve”



F MAGAZINE - Catherine Rihoit


LE QUOTIDIEN À LA MANIÈRE DE CÉLINE ET QUENEAU



La Vie sauve, premier roman d’Annie Mignard (Grasset): clin d’oeil au Godard de Sauve qui peut la vie? On retrouve dans ce roman la violence, la lucidité, le désespoir, la cruauté et cette tendresse mortelle qui sont de fait la marque de Godard. Ils sauvent leur vie comme ils peuvent, les jeunes gens d’Annie Mignard. Ils rament pour s’aimer au milieu des disputes des voisins, des fausses mitraillades télévisées qui montent de la cour, des pigeons parisiens malades qui chient partout et les reluquent, du bord de la fenêtre, avec des yeux de vautour miniature. Ils y parviennent un temps, à s’aimer quand même, mais cela ne dure pas. Parce que sauver sa vie, c’est sauver les meubles, guère plus. On a mal pour eux, mais on en rit aussi, comme de l’histoire de cette enquêtrice qui, après avoir fait honnêtement son travail dans les H.L.M. de province, lassée, met à contribution ses amis, et finit par faire elle-même questions et réponses. Comme de ces deux vieux, apparemment inséparables, qui 


dissipent l’ennui de la retraite par d’homériques engueulades.


    On rit, mais ça se termine mal: dans la solitude et l’abandon, dans la trahison de l’amour et des valeurs vitales. Annie Mignard enfile comme des perles, avec une ténacité et une habileté d’orfèvre, ces récits, qui sont autant de nouvelles pour former finalement un beau collier: ce roman.


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C’est nous son cinéma, sa télé du matin

     Depuis qu’ils sont retraités, ils badent. Le matin, pour tousser, il se campe devant la croisée, et tousse et crache sa toux grasse avec des regards circulaires. Plus tard, habillée, elle vient à son tour, se case dans le chambranle, et regarde droit devant elle. Droit devant elle, c’est nous. Nous, son cinéma. Sa télé du matin. Ses vedettes à trois sous. Sans le savoir, nos actes sont publics. Il est rentré! Il est rentré! mugit-elle de sa voix la plus basse, et on voit le store qui bat. Simon se rengorge. C’est vrai, il existe, il est rentré. Ou elle soupire: elle n’a pas bonne mine! Alors là, je sais que c’est moi. Je cours vérifier. C’est vox populi. Elle sait tout de nous.

Extrait de “La Vie sauve” d’Annie Mignard

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