Annie Mignard  écrivain

dossier de presse de “La Vie sauve”



LES NOUVELLES LITTÉRAIRES - Jérôme Garcin


ANNIE MIGNARD, UNE FEMME PRESSÉE



La Vie sauve , premier roman d’Annie Mignard (Grasset), est un peu une pièce de théâtre, un peu un long poème débridé, un peu la chronique onirique d’une piétonne de Paris: et tout cela confondu, imbriqué, complémentaire, nous donne un roman vraiment original. Impossible d’y adjoindre une quelconque paternité, style musique giralducienne ou tempo saganesque: d’emblée, Annie Mignard impose sa marque, avec un rien de fierté, et beaucoup de cette assurance qui manque tant aux premiers communiants de la religion romanesque.


La Vie sauve est un roman poétique sur Paris où le coeur bat toujours la chamade, celui du quai Malaquais et du boulevard Montparnasse, de la rue Saint-Jacques et des jardins des Tuileries, de la Hune et du Sélect. Dans ce décor complice, armée d’une plume zoom qui glisse, vite fait bien fait, de la vue générale au gros plan, Annie Mignard croque quelques figures que rien n’assemble sinon l’attention maniaque et créatrice de la romancière: il y a Simon, un peintre qui travaille en musique, “ouvrant les narines sur les odeurs de siccatifs et les yeux sur les couleurs”, passant ses journées à attendre que sèche une énième couche; il y a Daniel Mabile, un nomade citadin, un poète qui taquine l’alexandrin (“l’Arlésienne veillait à la place des Vosges”) et se préoccupe beaucoup des viscères, voyageur des intestins métaphysiques, des boyaux musicaux, et des hémorragies colorées; il y a Aline, enquêtrice publicitaire qui se balade entre Tourcoing et Fougères, et son ami Joseph, plus fana de western que de fidélité amoureuse; et puis il y a aussi Madeleine et Georges, vieux retraités babillards, Ada, la douce compagne de Daniel, d’autres encore...


    Une étrange cohorte, sans éclat, d’êtres anodins dont Annie Mignard a perçu la part secrète, émouvante, irritante, et qu’elle nous présente avec légèreté, presque par hasard, sans s’astreindre à les figer dans un moule romanesque. Ils sont passés par ici, ils repasseront par là, ou bien même disparaîtront: Annie Mignard ne tient pas ses personnages en laisse, la baguette dans la main droite et le synopsis dans la gauche. Elle les lâche sur


    



le papier: à eux, ma foi, de se débrouiller!


     Vive la langue française!


Ce roman, confesse-t-elle d’ailleurs, je l’ai écrit d’une seule traite, en cinq mois à peine. Aussi vite qu’un lapin qui court dans un pré.” La métaphore lui a échappé, mais c’est vrai qu’elle a un petit air pressé et secret, Annie Mignard, un oeil rusé, creusant son terrier dans le sable mouvant de la littérature, galopant dans la garenne romanesque, afin de ne pas nous poser un lapin, l’astucieuse... “Moi, ajoute-t-elle, ce qui m’intéresse, ce n’est pas l’histoire, ce sont les personnages.” Tant mieux!


En effet, cette Niçoise formée sur les bons vieux bancs de l’université, section lettres classiques, qui flirta ensuite avec le journalisme, écrivant pêle-même dans les Temps Modernes, Libération, la Quinzaine littéraire - du sérieux, quoi - et qui fonça tête baissée dans la sphère psychanalytique et le militantisme politique, aurait dû logiquement nous infliger son couplet autobiographique, grossièrement camouflé sous les branchages de la fiction, dans le genre “moi qui”, “moi que”. Eh bien non, Annie Mignard a biffé dans son roman tout ce qui pouvait relever de la morale, du prêche, de la harangue, pour ne s’offrir qu’un seul bonheur, le plus beau: celui de puiser dans la richesse de notre langue (“c’est fou ce que j’aime le français”, lance-t-elle, guillerette), idiomes, argot, mots de passe, de quoi nourrir les propos et les portraits de ses nombreux personnages, de quoi nous rendre Paris plus proche et vivant, celui du verbe plutôt que des descriptions alanguies et monotones...


Il n’y a pas de fin à La Vie sauve. Juste une remarque qui se veut superficielle, mais ne l’est pas, sur ces panneaux lumineux qu’on voit dans Paris, où on lit: “Gare de l’Est-Verdun”, et sur les gens “qui passent sur ce souvenir de mort oublié”. Mais les personnages d’Annie Mignard, eux, on ne les oublie pas: leur auteur ne leur a pas fermé, Dieu merci, la porte au nez. Ils continuent de vivre dans notre vie. Avant qu’on ne les retrouve dans le second roman de cette jeune romancière qui s’est déjà glissée dans nos habitudes livresques et qu’on attend, comme une amie.