Annie Mignard  écrivain

dossier de presse de “La Vie sauve”



LE MONDE - Bernard Alliot


ANNIE MIGNARD ET LE “DÉSAMOUR”



Le milieu d’artistes et d’intellectuels plus ou moins marginaux que peint Annie Mignard dans son premier roman, La Vie sauve (Grasset), n’est pas gai. Il n’est pas triste non plus. On se prend, on se laisse, on se console dans de chics désespoirs et l’on repart de plus belle pour nulle part, pour un autre tour. Montparnasse, les Tuileries, le faubourg Poissonnière bornent les pérégrinations de ces voyageurs sans boussole et limitent la carte du “désamour”. On se tombe dans les bras, on se pleure au creux de l’épaule, on fait la fête, on boit, re-boit, “se beurre”, et on dégobille, “accroché comme un naufragé à la cuvette des cabinets”. Comme on est peintre ou poète, on a forcément des états d’âme. Et de la sensibilité, avec un coeur en-veux-tu-en-voilà. On joue sans relâche un remake de Tendre est la nuit et du Repos du guerrier.


Mais le romantisme prolongé n’empêche pas les rides des matins pas frais ni l’usure de la vie à deux. Alors on se déprend. Ada fuit Daniel, Joseph quitte Aline, Odette abandonne Gilias. Même les



sexagénaires s’en mêlent, quand Madeleine largue Georges. Il n’y a que la vieille Nancy qui “croit à l’amour, à ces choses. Son état de veuve l’y aide.”


Les modèles mâles d’Annie Mignard, pleins de fatuité, oublieux de leurs criailleries, de leurs pleurs et de leurs petites lâchetés, se croiront à leur avantage. On connaît cette espèce qui pratique avec constance l’indulgence envers soi-même. Seuls quelques personnages féminins échappent à la tendre et implacable cruauté de la jeune romancière. Ces femmes qui maternent, soignent et consolent leurs improbables grands hommes et doivent, selon la formule consacrée, s’assumer elles-mêmes, pourraient bien être de nouvelles dupes.


C’est dire, encore qu’il faille de tout pour faire un roman, si les ébats de ces narcisses au coeur en vadrouille et à l’égoïsme de marbre tempèrent l’adhésion. Oui, mais il y a le style d’Annie Mignard, insolent, insolite et gentiment perfide, qui fait que le livre vaut d’être lu. Pour peu qu’elle choisisse un sujet qui la dépasse, on reparlera d’elle parmi les meilleurs.