Annie Mignard  écrivain

dossier de presse de “Le Père”



LE MAGAZINE LITTÉRAIRE - Valérie Colin-Simard


REVENANT, DE PÈRE EN FILS


 

Vous ne croyez ni à Dieu, ni à la vie éternelle, ni aux esprits ni aux fantômes? Annie Mignard non plus. Et pourtant, ils sont là. Et si vous ne vous en rendez pas compte, c’est peut-être que “la raison est faible d’esprit”. Il suffit parfois d’une odeur de lait, ou d’une vieille photo jaunie, couleur sépia, pour que la conversation s’engage: “Pourquoi es-tu mort et moi vivant?


Le Père, deuxième roman d’Annie Mignard (Seghers) est bâti comme un exorcisme, ou une incantation. Le héros, Serge, est hanté par son oncle. Mort quatre ans avant sa naissance, il ne l’a jamais connu, mais il l’appelle “père”. Il a été fusillé à bout portant, dans la Résistance, un jour qu’il préparait le déraillement d’un train allemand. Il se nomme Serge, comme lui. Il a les mêmes paupières bombées, le même arrondi du menton. “On m’a donné ton nom, j’ai pris ta place sur la terre.” Culpabilité.


Plus tard, beaucoup plus tard, sa grand-mère lui fera promettre de donner encore à son fils le prénom de Serge. “Dans les familles, écrit Annie Mignard, les enfants sont des revenants.” De génération en génération: “Cette famille avait crû et multiplié parce que tu avais crevé... Son ordre était fondé sur ta mort.” Haine, révolte et passion, sensibilité à fleur de



peau, proche de la folie. Tout doucement, Serge le mort va habiter Serge le vivant. Sa vie devient un tombeau, et s’en dégagent des odeurs de putréfaction: “Tu grouillais, tu faisais des bulles, tu étais en morceaux et en débris. Et tu puais! Ah tu puais! Il n’existe pas au monde d’odeur plus violente et plus visqueuse.


L’auteur ressuscite les morts et donne aux objets une âme. Serge leur parle et ils lui répondent. Ils lui racontent, s’il le désire, ce qui s’est passé durant son absence. Les meubles deviennent des personnages. Une armoire géante, “énorme présence campagnarde et brutale”, menace à plusieurs reprises de le tuer. Un univers à mi-chemin entre conscient et inconscient, entre les angoisses de de l’imagination et la réalité.


Elle a sûrement fait une psychanalyse, Annie Mignard, car tout y est. Attirance sexuelle du héros pour sa mère qu’il tente d’embrasser sur la bouche, et surtout la culpabilité: “Peut-être un fils doit-il toujours payer à son père le crime de le remplacer.”


Annie Mignard sait raconter la détresse de ne pas se sentir exister. Mais aussi la ferveur de se sentir renaître. A trente-trois ans, Serge deviendra metteur en scène de théâtre. Mais sa première troupe de comédiens, il la connaît depuis l’âge de quatre ans: les dialogues étaient ceux de sa famille.