Annie Mignard  écrivain

dossier de presse de “7 Histoires d’amour”

interview



Annie MIGNARD


    Parler de ce qui est invisible




Entretien avec Bruno Trigalet

La Voix du Nord (Aisne)

numéro spécial du Festival de la nouvelle de Saint-Quentin 1989


                                     -




Bruno Trigalet, La Voix du Nord. - Annie Mignard, à lire vos 7 Histoires d’amour, il semble que vous ayez une inclination naturelle pour la nouvelle. Est-ce le cas?


Annie Mignard. - C’est même plus, c’est une nécessité. Ce sont des textes qui sont complètement nécessaires. De temps en temps c’est un roman. De temps en temps c’est une nouvelle.


V.D.N. - L’écriture pour vous est un besoin?


A.M. - Oui!


V.D.N. - Et pourquoi des nouvelles et pas, par exemple, de la poésie? Puisque votre inspiration peut être qualifiée de poétique.


A.M. - Petite, j’écrivais des poésies. Comme tout le monde. Elles étaient ignobles. C’était un peu le style de Lamartine: plein d’améthystes, de sous-bois. Non, la poésie, ce n’est pas vraiment mon affaire. Par contre, dès mon premier roman, La Vie sauve, j’ai eu le sentiment qu’écrire de la prose supposait le même travail qu’écrire de la poésie. C’est-à-dire que c’est exactement le même travail de calibrage, de longueur de syllabes, de virgules, de ponctuation. Si on enlève une syllabe à un mot, toute la phrase se casse la figure. Toute la page. Et quasiment tout le roman. C’est comme si on enlevait une brique d’un mur.


V.D.N. - Vous avez donc une écriture très travaillée. Vous corrigez abondamment?


A.M. - Oui, beaucoup. Je ne crois pas du tout au génie spontané. Il y a trois ans que j’ai commencé à écrire des nouvelles. Et depuis j’ai le sentiment de progresser sans cesse, d’acquérir une technique. Et paradoxalement, plus j’apprends de choses, plus j’ai l’impression d’être simple ou naturelle. Spontanée. La technique m’aide à la sortie simple et juste des sensations.


V.D.N. - Vos histoires sont structurées. Avec un début, un développement et une fin. Voire une chute...


A.M. - Quelque chose se présente, avance et vous traverse. Ca peut être un amour, une agonie, ou toute autre épreuve. Ce qui m’intéresse, c’est de voir comment les gens traversent quelque chose. Toutes mes histoires sont des espèces de traversées.


V.D.N. - Vos romans et vos nouvelles sont toujours basés sur la description, l’analyse de sentiments très forts. Des sensations qui sont en soi. Quand on écrit des choses comme cela, où va-t-on chercher ces sentiments?


A.M. - Dans sa cave. Tous les sentiments que je décris sont des sentiments que j’ai connus. Sauf quelques-uns.


V.D.N. - Que pensez-vous de la littérature française actuelle?


A.M. - J’ai l’impression qu’en ce moment on est en train de chercher en littérature. Moi, ce qui m’intéresse, ce n’est pas ce que le roman ou la nouvelle réalistes racontent. Ils racontent du social: des histoires d’hommes et de femmes qui se passent sur la Terre. Ce qui m’intéresse, c’est presque de parler de métaphysique. De physique et de métaphysique.


J’ai énormément lu quand j’étais petite. Mais ce qui a vraiment compté pour moi, c’était en fait le théâtre antique ou le théâtre classique. Parce que c’était ce théâtre-là qui parlait de l’essentiel: de l’homme et de métaphysique.


    Traiter un sujet dans le cadre d’un roman réaliste interdit d’en voir les aspects qui, pour moi, sont essentiels. Aujourd’hui, parce qu’on a appris la psychanalyse, on essaie de faire sentir l’inconscient par des petites échappées. Par des équivalences de langage. Tel geste signifie: “J’ai envie de quitter ma maîtresse”. Tel autre: “J’ai envie de boire du chocolat chaud à cinq heures”: c’est le langage de l’inconscient. C’est pour ça que, par exemple, je pense à utiliser des procédés de rhétorique, dans la mesure où ils peuvent être compris aujourd’hui. Et en particulier, des procédés de personnification, de prosopopée, qui fassent sentir des présences. Je veux parler de ce qui est invisible.


V.D.N. - Oui, mais il faut rendre ce qui est invisible, si ce n’est visible, au moins lisible!


A.M. - Et cela pose donc des problèmes de peinture. C’est d’ailleurs pourquoi je suis contrainte de chercher. J’ai envie d’écrire de la peinture. Mais avec des traits très nets. Mon coup de pinceau, ce serait plutôt de faire un seul trait. Ou même un demi-trait si c’est possible. Pour suggérer la totalité du trait.