Annie Mignard  écrivain

La Dame du Milieu, nouvelle de 1.350 signes, la plus brève que j’aie écrite, a paru en page 79 de mon premier roman, La Vie sauve (Grasset 1981). Lequel roman a une forme originale, à mi-jeu du long et du bref, d’une seule coulée avec des titres italiques mis en alinéas, qui font passer d’un personnage (scène, situation) à un autre, comme dans une ronde à personnage collectif qui est Paris. La Dame du Milieu figure  sous son titre un de ces épisodes, en tant que feuille écrite par un personnage féminin fatigué de l’épisode précédent.

La Dame du milieu” a reparu isolée dans la revue Brèves n° 54 (1998), où je l’ai dénommée “conte chinois”. Quoique je pensais plus à un éloignement de temps que de lieu, un conte du Moyen-Âge.

           

Elle raconte la cruauté du désir de perfection qui m’a empêchée, des années, d’écrire mon premier roman.

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Annie MIGNARD



    La Dame du Milieu

         conte chinois




Parfaitement et Lucidement parcouraient les routes en mendiantes qu’elles étaient. Elles n’avaient dans leur besace que leur savoir pour richesse, et ne trouvaient guère de gîte.

Aussi, quand elles furent recueillies chez la Dame du Milieu, décidèrent-elles pour la remercier de lui faire cadeau de leur unique trésor.

Voici justement que la Dame du Milieu se promenait dans son jardin, comme ci, comme ça. “Quelle démarche stupide”, dirent-elles, et elles lui ôtèrent les pieds. Puis elles entreprirent de lui enseigner comment avancer, mais la Dame du Milieu, malgré tous leurs efforts, ne put.

La Dame du Milieu alors s’assit et se mit à jouer. “A ton âge”, dirent-elles, et elles lui ôtèrent les mains. Puis elles tentèrent de lui montrer comment bouger, mais la Dame du Milieu n’y arriva pas.

Désœuvrée, la Dame du Milieu commença à chanter. “Ouh là là”, dirent-elles en se bouchant les oreilles. Et elles lui ôtèrent la voix. Puis elles essayèrent de lui faire dire une parole, mais aucun son ne sortit de sa bouche.

Alors la Dame du Milieu se traîna jusqu’au puits et se jeta dedans. Quand elles la découvrirent, Parfaitement et Lucidement pleurèrent beaucoup. Puis elles reprirent les routes, en mendiantes qu’elles étaient.


      © Annie MIGNARD

nouvelle

Manuscrit_Tusco.html