Annie Mignard  écrivain

Annie MIGNARD



     L’amour de la langue





“L’Amour de la langue” est extrait de ma contribution à La Langue à l’oeuvre, ouvrage conçu et coordonné par Patrick Souchon, sur le programme “Le Temps des écrivains à l’université et dans les grandes écoles”, éd. Maison des écrivains/Les Presses du réel, coll. “Art et université” 2000, pp. 150-154.


J'ai écrit “L'Amour de la langue à propos de deux ateliers d’écriture que j'ai animés à l'université d'Avignon et des Pays du Vaucluse, auprès des étudiants du cours de maîtrise sur le XVIIè siècle de Vincenette Maigne. Elle-même a écrit sur cette expérience “Sous la fontange de Mme de Sévigné,” dans La Langue à l’œuvre.

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Je n’ai jamais vu d’écrivain, ce qui s’appelle un écrivain vivant, en chair et en os, pendant mes études: de l’école à l’université comprise. Je parle de cette époque rude et stable où la démocratisation dans l’école de la République a consisté, pour mes deux soeurs et moi, à recevoir des bourses pendant toute notre scolarité, et où il n’existait ni classes de neige, ni service culturel, ni salle de vidéo ou d’informatique, ni écrivains dans les cours. Que serait venu faire un écrivain vivant dans une salle de cours? En français, nous étudiions les morts depuis des siècles, au moins un siècle, et notre dialogue se faisait avec eux; à la faculté de lettres, c’étaient les auteurs latins et grecs; dans mes études de sciences politiques, de droit et d’économie, j’ai souvent eu comme maîtres les auteurs des manuels que nous étudiions, mais si passionnant que soit un ouvrage de droit administratif ou d’histoire des idées politiques, je n’ai jamais pensé que son auteur fût un écrivain.


                  La caverne d’Ali Baba de la bibliothèque


Du reste, mon dialogue énorme avec les livres était tout muet et imaginaire, et je ne parlais pas aux gens. Les écrivains pour moi n’étaient pas de l’ordre du réel tangible, mais de l’ordre de l’intime. Ils ne m’ont jamais manqué, j’avais tout d’eux, leur âme, leur coeur, leur sensibilité, la beauté de leur langue, leur vision du monde, leur imaginaire qu’ils ouvraient. Sans doute si nous avions eu à étudier des auteurs contemporains, l’idée me serait venue que ces personnes étaient de chair et d’os, et qu’il serait peut-être possible de vérifier leur présence. J’écris parce que j’ai tant aimé lire, et j’ai lu grâce au collège et au lycée, parce qu’à la maison il n’y avait pas de livres, hormis le Larousse universel en deux volumes. Je prenais des livres à la bibliothèque du lycée, je lisais énormément, et si je suis écrivain, c’est en partie grâce à la caverne d’Ali Baba que constituaient ces trois pièces tapissées de livres du sol au plafond sous les combles de mon lycée, où j’avais à la fois la profusion et la proximité. C’était une façon d’apprendre sur le tas.


                        Écrire s’apprend sur le tas


Lire s’apprend sur le tas, écrire s’apprend sur le tas. Je crois beaucoup à la pratique, à l’expérience, à l’apprentissage, à ce qu’on apprend quand on retrousse ses manches et qu’on va au charbon. On devient aussitôt plus attentif à la langue, par ses oreilles, par ses yeux, par sa bouche, plus concentré, plus sensible, quand on manie soi-même la matière. Si écrire vient de lire, écrire aide en retour à mieux lire, à mieux écouter, parler, observer, sentir. A mieux aimer sa langue à mesure qu’on travaille dedans et qu’on la tâte et qu’on la touche.


La sorte de révolution que les ateliers d’écriture ont introduite ou qu’ils symbolisent, réside dans ce rapprochement matériel, pratique, concret avec la langue. Elle double du même coup le rapport qu’on peut nouer avec un écrivain: au commerce intime du lecteur avec l’écrivain absent ou mort, elle ajoute la présence physique de l’écrivain artisan de la langue. Les écrivains invités à animer des ateliers viennent comme des praticiens qui tous les jours se mettent à l’établi. Ils viennent partager leur expérience pratique du matériau de la langue et de ce qu’elle rend quand on la manie, des traîtrises des gestes mal emmanchés, des ruses d’une narration qui se dérobe, et ils viennent transmettre leur amour du “métier” et de la langue.


                        On écrit au plus près de soi


Ce n’est pas pour autant, bien entendu, et cela est clair pour tout le monde, que les ateliers d’écriture “fabriqueraient” des écrivains. Je songe aux ateliers tels qu’ils sont généralement conçus en France, et non pas au creative writing d’outre-Atlantique, dont on reconnaît à la lecture les procédés techniques mimétiques et industriels. Le but dans nos ateliers n’est pas le même. L’idée de l’écriture et de la littérature non plus. Les ateliers font toucher du doigt qu’on écrit avec tout son être et en tendant à être au plus près de soi et au plus près de sa langue. Et nous avons à notre disposition dans les littératures passées une telle abondance de formes et de styles (...).


        © Annie MIGNARD

sur mon travail

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