Annie Mignard  écrivain

dossier de presse de “7 Histoires d’amour”

interview



Annie MIGNARD


  Le recueil, “forme” non nécessaire


Réponses à trois questions de Christian Congiu

Revue “Nouvelle Donne” n° 23

janvier 2001


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Christian Congiu - Quel est votre itinéraire littéraire?


Annie Mignard -Mon premier roman, La Vie sauve (Grasset) avait une forme originale, à mi-jeu du long et du court. Il était d’une coulée, avec des titres en italique gras mis en alinéas qui font passer d’un personnage (scène, situation) à un autre, comme dans une ronde à personnage collectif (Paris) qui revenait à la fin sur les personnages du début. Ce n’est pas un roman en nouvelles, mais il y a de ça. Cette “ronde” était une forme nécessaire, parce qu’il me semblait que c’était ce que demandait la matière, une façon hors des mots de dire un élan de panique vitale (d’où le titre, La Vie sauve).


Cette forme nécessaire éclaire a contrario pour moi le problème de fond des recueils de nouvelles. J’ai publié après ce premier roman quelques nouvelles qu’on m’avait demandées (dans la revue Roman, ou la revue d’Autrement), mais le vrai lien avec les nouvelles est venu avec mon deuxième roman, Le Père (Seghers), lequel m’a pris sept ans et quatre versions, à cause de la censure qui couvre le sujet (nos rapports avec les morts). La troisième version me posait un problème de construction. L’idée m’est venue que j’avais besoin d’acquérir de la technique, en écrivant en petit format, des nouvelles. Jusque là je détestais l’idée de technique, comme opposée à la vérité de l’être, au risque, etc. Or, le risque précisément demande un niveau technique très élevé. Ca a donné mon recueil 7 Histoires d’amour (Ramsay, réédité chez HB).


    Puis j’ai publié Le Père dans sa quatrième version, et d’autres nouvelles, brèves ou longues (ce qu’on appelle “novellas” à l’étranger) au Festival de la nouvelle de Saint-Quentin, ou en recueils collectifs et anthologies (comme ma nouvelle Le Jour des chaussures, reprise dans l’anthologie Le Pied, Hachette Jeunesse), et du théâtre: Mère humaine (Paroles d’aube).



C.G. - Avez-vous eu des difficultés à publier des nouvelles? Et pourquoi?


A.M. - Pas à publier. Mais à regrouper dans le gabarit du recueil mes nouvelles que j’avais déjà publiées isolément. Elles forment plusieurs sous-ensembles, qui peuvent se recouper, de trois ou quatre, en dessous du gabarit du recueil. Or, un recueil doit avoir un thème unique fort. Les recueils disparates me tombent des mains.



C.G. - Vous aviez dit que l’une des difficultés, mise à part la réticence des éditeurs, est de constituer un recueil, littérairement parlant. Pouvez-vous développer ce point précis? Nous dire comment vous préparez vos recueils et à quels écueils vous devez faire face?


A.M. - Le recueil n’est pas une invention d’auteur, mais de copiste ou d’éditeur. C’est là tout le problème, esthétique, que le recueil d’éditeur soit une “forme” non nécessaire et morcelée à la fois. Je ne “prépare” pas de recueil, j’écris une histoire parce qu’elle est nécessaire, et si elle a une longueur de nouvelle, c’est que l’histoire la demande. Une nouvelle est une oeuvre en soi, avec son monde et sa nécessité. Pour 7 Histoires d’amour, je voulais travailler, en lisière de mon roman Le Père que j’étais en train d’écrire, la structure et le style, comme un peintre dessine dans un coin de feuille une posture, un visage. Mais il faut “être là” dans ce qu’on écrit, et j’ai pris cinq sujets d’histoires d’amour trouvées dans ma chemise à papiers (sur lesquels je note les idées qui viennent).


La première que j’ai écrite est Le Boucher Tusco, qui est parue dans Le Monde du dimanche qui publiait alors des nouvelles littéraires, c’est-à-dire sans le “cahier des charges” des nouvelles de journal qu’on revoit aujourd’hui. Quand j’ai eu fini les cinq nouvelles, je les ai apportées à un éditeur moyen, Paul Fournel qui dirigeait alors Ramsay et qui publiait des nouvelles (les grands éditeurs n’en publiaient pas). Il m’a dit: “C’est très bien, je les publie, mais il m’en faut huit, pour faire un recueil. - Mais j’ai dit tout ce que j’ai à dire sur l’amour! - Non, non, tu as d’autres choses à dire.” J’étais si désespérée qu’en sortant j’ai failli passer sous un autobus. Mais je me suis rappelé deux autres sujets avant de rentrer chez moi. Ainsi, de cinq, c’est devenu Sept histoires d’amour. Quant à Les premières Espérances, novella finale de quarante-cinq feuillets, Paul Fournel a tenté de me la faire équarrir à la mesures des six nouvelles qui la précèdent. J’ai coupé, mais elle ressemblait toujours à ce qu’elle était. Alors il m’a laissée tranquille. Et elle est très bien comme ça.


Enfin, le recueil constituant matériellement une chambre d’écho à tout effet non voulu (répétition de mots, ressemblances de scènes, rythme, etc), j’ai différencié le moindre détail de mes nouvelles. Et leur succession dans le recueil suit une dynamique - qui donne une sorte de sens ajouté.


Pour fuir la gêne du disparate, d’autres auteurs partent du recueil. C’est une démarche opposée à la mienne, mais la même idée esthétique d’unité de l’oeuvre. Certains font des recueils que j’appelle “composés”, en réseau de personnages et objets communs, avec le problème du double oeil de lecture, quand la nouvelle est lue isolée, et quand elle est lue dans le courant du recueil. D’autres font des recueils que j’appelle “d’exercice en série” ou de “gammes”, où ils reprennent la même scène en multiples versions, c’est du formalisme technique. Et coetera.


    Les éditeurs qui connaissent leur métier mettent les deux meilleures nouvelles en premier, pour les critiques: c’est déjà reconnaître que le recueil a un “sens” en soi, un sens direction, dont naît un sens-signification, puisque c’est convenir qu’on lit le début d’abord. Et, depuis 1994, pour tenter de sortir de la crise de l’édition par le livre à 10 francs, par démarche donc économique et non esthétique, on édite timidement des nouvelles isolées. J’ai publié ainsi une novella, dans ce format de petit roman qui permet une grande liberté: Grands sont les maîtres du Haut-Kœnigsbourg (Le Verger).