Annie Mignard  écrivain

discussion sur ce que sont des co-auteurs

(à propos de “La mémoire d’Hélène”, Ed. Maspero/“La mémoire du peuple”)

Annie Mignard, “L’un écrit, l’autre signe”, La Quinzaine littéraire

Philippe Lejeune, “L’autobiographie de ceux qui n’écrivent pas. Qui est l’auteur?” dans “Je est un autre”, Seuil


commentaire dans un ouvrage à l’étranger

Revue Unión.  De Unión de Escritores y Artistas de Cuba 1990


C’est l’histoire de mon amitié explosée avec une mamma juive hongroise immigrée depuis 1930, Hélène Elek, dont j’ai connu la tribu avant de la connaître.

Hélène Elek était déprimée de la mort de son fils aîné, fusillé dans les FTP-MOI, un de L’Affiche rouge chantée par Aragon, Thomas Elek, dont elle avait fait donner le prénom à une douzaine de garçons nés depuis. Je connaissais pour ma part deux de ses petits-fils Thomas.

J’ai pensé qu’elle serait moins déprimée si le souvenir de son fils pouvait durer en papier. J’ai dit à ma vieille amie: “Hélène, vous voulez qu’on fasse un livre ensemble?


Elle parlait mal le français et ne l’écrivait pas. Et comme ce qu’elle disait sur son fils pendant la Résistance était trop peu pour un livre, je l’ai interrogée (et aussi ses enfants) sur sa vie.

La transcription que j’avais tapée de mes interviews a été refusée par deux éditeurs(“Cette femme communiste n’a rien compris”, pour l’un. “Trop gros travail littéraire à faire”, pour l’autre).

Un an plus tard, l’éditeur François Maspero a accepté mon projet, y compris une postface, dans sa collection “La mémoire du peuple”, et nous a fait un seul contrat à deux co-auteurs siamoises.

J’ai rendu le manuscrit, intitulé “La mémoire”(au féminin), et non “Les mémoires (au masculin pluriel) d’Hélène”. Quand j’ai reçu les épreuves à corriger, mon nom était absent.


En respect du contrat, j’ai demandé à avoir mon nom à égalité sur la couverture, comme le faisaient au même moment les meilleurs éditeurs (Minuit). François Maspero a répondu qu’il allait sortir le livre sans mon bon à tirer, selon le désir d’Hélène Elek de n’avoir ni co-auteur ni postface.

J’ai bégayé tellement pendant deux mois que j’étais inintelligible.

Puis François Maspero a proposé qu’elle soit auteur et moi nègre. Comme, loin d’être “nègre” de l’éditeur tardif, j’étais à l’origine du livre que j’avais proposé comme acte d’amitié à ma vieille amie, j’ai refusé. De même qu’un tableau de Magritte représentant une pomme écrit “Ceci n’est pas une pomme”: c’est un tableau, de même un livre n’est pas “une vie”: c’est un livre.


Philippe Lejeune a extrait, de notre polémique dans les médias qui s’en est suivie, mon article dans La Quinzaine littéraire, “L’un écrit, l’autre signe”, et celui de François Maspero “Qui est le nègre?”, pour illustrer un chapitre de son essai Je est un autre”, intitulé “L’autobiographie de ceux qui n’écrivent pas. Qui est l’auteur?”, sur les nègres et les “autobiographies au magnétophone” de gens du peuple.

Voir aussi tous les commentaires de Qu’est-ce que des co-auteurs?, et parmi eux, les commentaires d’inspiration plutôt historique sur “L’un écrit, l’autre signe”.


A Cuba, l’Union des Ecrivains et des Artistes a considéré là-dedans le problème politique de fond qui les concernait et que je posais à la fin de “L’un écrit, l’autre signe”: Il y a dans le peuple, comme partout, des gens qui savent écrire. Qu’ils écrivent. — Mais qui les lira? objectent-ils.

Unión de Escritores y de Artistas de Cuba

UNIÓN n° 34-41, Cuba 1990


Extrait p.32


    “Las aspiraciones de Annie Mignard (“L’un écrit, l’autre signe”, La Quinzaine littéraire 258, 16/6/1977, Paris) — devolverle el poder al pueblo devolviéndole la escritura: “Le peuple, pour sa part, est parfaitement capable d’écrire sans attendre qu’on vienne le cuisiner au magnétophone” — no tiénen cabida en el mercado del libro, como lo recuerda Philippe Lejeune: “Mais écrire pour qui? Pour les gens qui lisent.” Suele olvidarse que lo que hace el interés de estos textos...”