Annie Mignard  écrivain

discussion sur ce que sont des co-auteurs

(à propos de “La mémoire d’Hélène”, Ed. Maspero/“La mémoire du peuple”)

Annie Mignard, “L’un écrit, l’autre signe”, La Quinzaine littéraire

Philippe Lejeune, “L’autobiographie de ceux qui n’écrivent pas. Qui est l’auteur?” dans “Je est un autre”, Seuil


David Pontille, “La Signature scientifique: une sociologie pragmatique de l’attribution”. Ed. CNRS 2004


C’est l’histoire de mon amitié explosée avec une mamma juive hongroise immigrée depuis 1930, Hélène Elek, dont j’ai connu la tribu avant de la connaître.

Hélène Elek était déprimée de la mort de son fils aîné, fusillé dans les FTP-MOI, un de L’Affiche rouge chantée par Aragon, Thomas Elek, dont elle avait fait donner le prénom à une douzaine de garçons nés depuis. Je connaissais pour ma part deux de ses petits-fils Thomas.

J’ai pensé qu’elle serait moins déprimée si le souvenir de son fils pouvait durer en papier. J’ai dit à ma vieille amie: “Hélène, vous voulez qu’on fasse un livre ensemble?


Elle parlait mal le français et ne l’écrivait pas. Et comme ce qu’elle disait sur son fils pendant la Résistance était trop peu pour un livre, je l’ai interrogée (et aussi ses enfants) sur sa vie.

La transcription que j’avais tapée de mes interviews a été refusée par deux éditeurs(“Cette femme communiste n’a rien compris”, pour l’un. “Trop gros travail littéraire à faire”, pour l’autre).

Un an plus tard, l’éditeur François Maspero a accepté mon projet, y compris une postface, dans sa collection “La mémoire du peuple”, et nous a fait un seul contrat à deux co-auteurs siamoises.

J’ai rendu le manuscrit, intitulé “La mémoire”(au féminin), et non “Les mémoires (au masculin pluriel) d’Hélène”. Quand j’ai reçu les épreuves à corriger, mon nom était absent.


En respect du contrat, j’ai demandé à avoir mon nom à égalité sur la couverture, comme le faisaient au même moment les meilleurs éditeurs (Minuit). François Maspero a répondu qu’il allait sortir le livre sans mon bon à tirer, selon le désir d’Hélène Elek de n’avoir ni co-auteur ni postface.

J’ai bégayé tellement pendant deux mois que j’étais inintelligible.

Puis François Maspero a proposé qu’elle soit auteur et moi nègre. Comme, loin d’être “nègre” de l’éditeur tardif, j’étais à l’origine du livre que j’avais proposé comme acte d’amitié à ma vieille amie, j’ai refusé. De même qu’un tableau de Magritte représentant une pomme écrit “Ceci n’est pas une pomme”: c’est un tableau, de même un livre n’est pas “une vie”: c’est un livre.


Philippe Lejeune a extrait, de notre polémique dans les médias qui s’en est suivie, mon article dans La Quinzaine littéraire, “L’un écrit, l’autre signe”, et celui de François Maspero “Qui est le nègre?”, pour illustrer un chapitre de son essai Je est un autre”, intitulé “L’autobiographie de ceux qui n’écrivent pas. Qui est l’auteur?”, sur les nègres et les “autobiographies au magnétophone” de gens du peuple.

Voir aussi tous les commentaires de Qu’est-ce que des co-auteurs?, et parmi eux les commentaires d’inspiration plutôt historique sur “L’un écrit, l’autre signe”.


En 2004, David Pontille s’est fondé sur l’article de F. Maspero (“Qui est le nègre?”) et le mien (“L’Un écrit, l’autre signe”) publiés dans La Quinzaine littéraire, pour réfléchir à la signature “scientifique”.

David Pontille, CNRS

LA SIGNATURE SCIENTIFIQUE: UNE SOCIOLOGIE PRAGMATIQUE DE L’ATTRIBUTION

Ed. CNRS/”CNRS Sociologie” 2004


Présentation du livre:

Ce livre cherche à comprendre l’économie de ce texte paradoxal qu’est la signature scientifique= économie syntaxique où les places de chaque nom renvoient à des fonctions, attribuent des responsabilités, organisent des hiérarchies... L’analyse permet ainsi de mieux cerner les traits fondamentaux de l’”auteur” dans le domaine scientifique.



Extraits pp. 17 à 19


    p. 17. “Au mois de juin 1977, La Quinzaine littéraire faisait paraître un article d’Annie Mignard,L’Un écrit, l’autre signe”. dans ce texte elle développe l’idée selon laquelle


    “Dans une société où tout est personnalisé et signé, la propriété littéraire existe comme principe, et en déposséder l’auteur ne peut être considéré que comme une escroquerie envers lui et une imposture envers le lecteur.” (Mignard 1977, p. 13)



    p. 18. (...) François Maspero, l’éditeur, et Annie Mignard, la rédactrice de la biographie, ne sont pas d’accord sur la personne à qui revient le statut d’auteur. Pour François Maspero, dont la réponse est publiée dans le même numéro de La Quinzaine (“Qui est le nègre?”), “une vie n’a qu’un seul auteur. Tout le reste n’est qu’esbroufe, exploitation, escroquerie.” (Maspero 1977, p. 14). Selon lui, l’auteur de La Mémoire d’Hélène est Hélène Elek. Ayant mené l’interview et organisé...”



    p. 19. (...)citation de l’article de F. Maspero:


    “Annie Mignard exigeait, par le canal de son avocat, son nom comme auteur de la vie d’Hélène et sa postface. Sinon, un retrait complet de toute mention de son nom. Cela, je ne le voulais pas davantage. Il me semblait juste et indispensable qu’elle figure en bonne place sur le livre. Mais elle ne trouvait justement pas la place assez bonne.” (Maspero 1977, p. 14) Souligné par moi.


    Ecrire son nom: où et comment? A en croire Annie Mignard, l’emplacement sur la couverture n’apparaît pas comme un simple détail. Les questions de typographie et de topographie semblent...”


                                   © David Pontille